Comment passer d’une collaboration classique à une coopération générative

Première Clé : L’individu réaffirmé

Pour développer la Coopération, le premier réflexe est de travailler sur le collectif. Cela paraît une évidence, mais restons vigilant : le risque est de ne voir ce collectif que comme un tout, en oubliant de s’intéresser à chacun des individus qui le composent. La Coopération se nourrit de la diversité et donc de l’acceptation par chacun de son individualité et de celle de l’autre. La Coopération efficace ne se base pas sur le mimétisme, mais sur le développement de la personnalité et des talents de chacun, sans que ce soit au détriment de la relation aux autres ou de la contribution au « tout ».

La Coopération émerge d’une danse équilibrée qui fait des boucles perpétuelles entre l’individu et le collectif, un peu comme le signe de l’infini. De fait, cette Coopération s’appuie sur un socle de développement des individus. Afin d’accepter de jouer le geste de la Coopération, chaque individu qui compose le groupe doit se sentir contributif en tant qu’individu pour le groupe, en lien avec « l’œuvre à créer » et suffisamment solide pour trouver sa place et interagir avec les autres au sein du groupe. Il doit également se sentir naturellement aligné au groupe, comme une évidence qui tient compte de son « soi » profond.

Ces différents points touchent au développement personnel. Chacun peut les travailler dans son coin, mais si l’on veut développer la Coopération et accélérer l’alignement et le développement des individus, il est indispensable d’utiliser les autres et le collectif pour cela dans un jeu de souplesse agile qui favoriserait « l’articulation du Je Nous » Concrètement, tout ce qui touche à la définition des rôles et de règles de fonctionnement y contribue. Ou la pratique encouragée des feed-back, des régulations et des gestes de reconnaissance (informels ou organisés). Ou encore, les réunions de groupe où des tours de table systématiques sont mis en place pour que chacun parle de ce qu’il vit, de ses fiertés et difficultés, de ses envies et aspirations, de ses idées et suggestions…

Tout cela est génératif de la mise en place d’une forme d’intelligence collective.

Un individu « apte » à gravir avec son équipe les différents niveaux du modèle de maturité de la coopération c’est un individu qui cherche à savoir :

Qui suis-je ? : cela signifie être conscient de son environnement, de ses compétences, ses capacités, ses croyances, ses valeurs, sa mission, son identité, sa contribution à l’œuvre commune, sa confiance en soi même ; accepter de les remettre en cause si besoin, ou chercher à les faire évoluer positivement ;

chercher à clarifier son positionnement et sa valeur ajoutée (savoir, savoir-faire, savoir-être) pour le collectif et pour la création de l’œuvre commune.

Qui sont les autres ? : cela signifie être curieux de l’autre (des autres), chercher à comprendre le positionnement, la valeur ajoutée de chacun, explicite ou non (savoir, savoir-faire, savoir-être) et contribuer à leur développement.

Comment développer le lien entre moi et les autres, moi et le collectif ? : cela signifie être convaincu de la nécessité de la diversité (sur tous les registres) et admettre la différence, accepter les divergences de point de vue, donner et se nourrir des feed-back, s’impliquer avec authenticité, développer son assertivité, ses capacités relationnelles et de communication, nourrir son intelligence interpersonnelle…

Seconde Clé : La carte n’est pas le territoire

Chacun d’entre nous construit sa propre vision du monde et, par conséquent, chacun d’entre nous a sa propre représentation du monde. Il n’existe pas de carte unique : « la carte n’est pas le territoire » !

Cette notion, développée par Alfred Korzybski (Ingénieur, chercheur en sciences humaines et fondateur de la sémantique générale), correspond au fait que nous percevons le monde (le territoire) à travers nos sens (vue, toucher, ouïe, odorat, goût) et les filtres de notre cerveau.

Nous nous en faisons une représentation interne (la carte), cette représentation n’est pas la réalité mais notre réalité. Cette notion est également un de présupposé de la Programmation

Neuro Linguistique développée par Richard Bandler et John Grinder dans

les années 70. Nous voyons donc les choses différemment les uns les autres

et évidemment nous ne nous arrêtons pas là puisque nous projetons notre vision du monde sur tout ce qui nous entoure et nous utilisons notre carte pour lire le territoire (les intentions) d’autrui.

L’invention de l’intention : l’interprétation

Nous ne pouvons connaître l’intention de l’autre si ce n’est en le lui demandant explicitement et encore faut-il qu’il en ait pleinement conscience (ce qui n’est pas toujours évident).

Le faisons nous toujours ?…

Aujourd’hui, les neurosciences nous apportent un éclairage nouveau sur le fonctionnement du cerveau. A savoir, celui-ci ne voit que ce qu’il connaît et les éléments que nous percevons sont déjà déformés avant de rejoindre les aires de traitement dans notre cerveau. De nombreuses expériences nous en font la démonstration : un cadre rectangulaire qui tourne autour d’un « faux axe » sera vu comme une parfaite ellipse tournant autour de son axe !

Un masque en creux sera vu comme un masque en relief, simplement.

En reprenant les travaux de Chris Agyris (professeur à Harvard) qui décompose le fonctionnement de notre cerveau en un certain nombre « d’opérations » à partir des données et expériences observables (niveau 0)

  • Dans un premier temps (Niveau 1), le cerveau sélectionne les informations. Même si, notre cerveau enregistre une quantité impressionnante de données, il ne va sélectionner que celles jugées utiles. Dans bien des cas de la vie courante, cette sélection nous est utile, voire vitale (ie. la conduite en voiture, la lecture), tandis que dans d’autres, elle peut nous conduire à une mauvaise compréhension de la réalité.
  • Puis, à partir de ces données sélectionnées, nous y ajoutons notre interprétation (Niveau 2). Cette interprétation est issue de notre environnement culturel (ie. le rire dans les sociétés occidentales et orientales n’a pas le même sens). L’interprétation est aussi liée à nos croyances (ce qu’il est bon de faire, ce qu’il est important de faire selon nous).
  • A partir de notre interprétation, nous faisons des hypothèses (Niveau 3) et nous en tirons des conclusions (Niveau 4).
  • Ces conclusions consolident des convictions que nous avons sur le monde, ou créent de nouvelles convictions (Niveau 5).
  • Nous prenons nos décisions à partir des convictions ainsi développées (Niveau 6).

Nous passons le plus clair de notre temps dans une partie abstraite, que nous partageons très peu (niveau 1 à 5). Nous prêtons alors à l’autre des intentions (bonnes ou mauvaises) que nous ne validons presque jamais mais dont nous sommes convaincus.

Ces présomptions et les conclusions sont particulièrement difficiles à vérifier si ce n’est par un dialogue, le feedback, une écoute active de l’autre empathique et dégagée de nos aprioris et convictions.

La Coopération nécessite d’éclaircir nos processus mentaux et d’écouter les intentions de l’autre, plutôt que de les interpréter de notre côté. Ce mouvement qui part de soi vers l’autre, nous permet de comprendre les intérêts et les envies de chacun pour construire une voie qui les réconcilie le plus possible.

Troisième clé : Le but d’ordre supérieur

L’œuvre commune est le point de convergence ambitieux pour tous ceux qui sont impliqués dans l’action commune qui nécessite une Coopération. Parler d’objectif commun n’est pas suffisant : il s’agit de remonter d’un niveau pour parler d’une mission, d’une vision, d’une finalité. Il s’agit d’évoquer quelque chose qui est à la fois concret, rationnel, mais aussi de quelque chose qui « transcende », qui parle aux émotions, aux tripes et qui vient de l’intuition.

Il est important bien sûr de partir des demandes de l’environnement, des enjeux en lien avec le business. Cette œuvre commune — ou But d’Ordre Supérieur (BOS) — de l’équipe doit être alignée avec celle du système qui l’englobe (l’entreprise et plus largement encore).

Mais également, veiller à faire le lien entre ce BOS et les objectifs et aspirations personnelles de chaque individu qui compose le collectif. Pour cela, une alignement est nécessaire avant de se jeter dans l’action, un temps d’appropriation pour chacun également, de manière à développer l’engagement et créer une véritable aspiration. Si l’on repense à la parabole des tailleurs de pierres de Charles Péguy, ce n’est pas la même chose d’avoir comme objectif de « tailler des pierres » — même si d’autres le font à côté de moi — que de contribuer à « l’édification d’une cathédrale à la gloire de Dieu » !

Le formuler et le faire vivre

Au démarrage, pour clarifier le BOS et développer l’engagement, il est souvent utile de se réunir et faire que chacun s’exprime autour des questions : Qu’est-ce qui me fait vibrer ? Qu’est-ce que je serais prêt à risquer, à lâcher pour que cela se réalise ? On peut aussi travailler en creux : Quel est le risque de gâchis à ne pas y aller ? A ne pas œuvrer ensemble ?

Certains, pour s’engager, sont sensibles au but ; d’autres au chemin… Certains ont besoin « d’aller vers », d’autres « de partir de »… Tous ces leviers personnels et spécifiques sont à prendre en compte. Chacun doit s’identifier au BOS et en même temps se sentir spécifiquement contributeur.

Il s’agit d’un préalable à l’action mais aussi de quelque chose à revisiter ou à faire revivre en cours de route. Pour chacun, doivent être comprises et réinterrogées sans cesse les notions d’ « apports » et d’ « attentes » vis-à-vis du BOS et des autres acteurs du collectif : Quelle est ma contribution et qu’est-ce que cela m’apporte ? Cela peut être abordé lors de boucles de feed-back permanentes instituées ou provoquées. Ces feed-back individuels, mais aussi des temps collectifs conviviaux pour fêter les avancées, sont indispensables pour que chacun et tous se sentent reconnus. Ceci développe aussi les sentiments de fierté et d’appartenance, qui permettent l’engagement durable — à condition de ne pas se faire au détriment du système plus large (l’entreprise, le marché, la société…) dans lequel s’inscrit le groupe : attention au syndrome du « village gaulois ».

Le besoin d’un leader charismatique

Le BOS est autre chose qu’un BOSS ! On est souvent dans le fantasme d’avoir un grand leader charismatique qui entraîne tout le monde dans son sillage car il communique magnifiquement SA vision. En réalité il est très rare de disposer d’un JFK ou d’un Steve Jobs comme patron. Il est même souhaitable que le BOS ne soit pas incarné par une seule personne, mais bien par chaque membre de l’équipe (codir). Et le Patron doit se faire humble vis-à-vis de la vision / mission.

Cela conduit à une question plus générale : le BOS doit il provenir de l’interne ou de l’externe ? Une impulsion externe est souvent utile pour la mise en mouvement initiale. A être trop dans l’opérationnel et le détail on en perd parfois la vision globale… Et pour finir, rappelons que même si le BOS est formulé d’une façon un peu abstraite, il doit être issu d’enjeux business très pragmatiques et il est primordial de lui associer des moyens concrets d’action pour le rendre accessible.

Quatrième Clé : Le cadre d’organisation

Réussir l’équilibre subtil entre trop et pas assez de cadre reste un challenge auquel de nombreuses équipes ou organisations se sont toutes trouvées un jour confrontées. Les clés précédentes jouent bien évidemment un rôle précieux car plus le But d’Ordre Supérieur est partagé, plus la confiance en soi et dans les autres est forte, moins nombreuses et nécessaires seront les règles, les processus et procédures qui vont guider et aider le collectif.

Cependant, le cadre reste toujours nécessaire pour de bonnes raisons :

  • Optimiser les ressources et les énergies
  • Assurer l’utilisation de tous les talents
  • Synchroniser les efforts et les tâches

Ce cadre doit être un guide de l’action et la libérer plutôt que de la contraindre. Il n’est pas du tout opposable pour générer un processus d’intelligence collective dans un groupe ou dans une entreprise. Un collectif qui fonctionne est un collectif capable de se donner des règles simples, pratiques et capable de les faire évoluer au fil du temps en fonction des situations et des circonstances. A l’inverse, un collectif qui fait trop souvent référence aux processus, voir se déresponsabilise derrière une règle ou des individus qui invoquent leur absence pour se dédouaner d’un manquement sont les symptômes d’un collectif qui ne joue pas encore à fond la carte de la Coopération.

Par Marc Fiori – Coach Professionnel